Dominique Aubier
La connaissance de l’Universel
La mission de la France
Au centre de l’homme européen,
dominant les grands mouvements de la vie,
est une absurdité essentielle.
Ne le pensez-vous pas ?
André Malraux
(La tentation de l’Occident, Gallimard, Paris 1945.)
Entretien avec Dominique Aubier,
réalisé par le journaliste Jean-Pierre Laurent pour la revue Occulture en 1999.
J.P. Laurent : Puisque nous avons choisi de faire porter notre entretien de ce jour sur la « crise», je pense qu’il serait bon que nous commencions par nous entendre sur ce qui se cache derrière ce mot. Je propose donc que nous nous interrogions d’abord sur ce qu’est une crise en général.
Je m’explique : tout système organisé par l’Homme est susceptible de connaître une crise. Lorsque nous parlons d’elle, désignons-nous un dysfonctionnement issu de l’irruption dans le système d’un élément perturbateur ou l’aboutissement du fonctionnement normal de ce système ? La première hypothèse renvoie à la notion d’accident, au grain de sable qui bloque les rouages, la seconde induit que la crise aurait pu être prévue par toute personne connaissant parfaitement le système. La crise devient alors une sorte d’aboutissement logique du développement dans le temps de toutes les possibilités du système.
D. Aubier : La première interrogation doit se diriger sur les mots. Qu’est-ce qu’une crise selon l’intelligence que ce mot peut avoir de lui-même ? Crise, en français, vient du grec Krisis qui signifie décision. La crise est donc, par définition, le lieu où une décision doit être prise de toute urgence. En espagnol le mot se calque apparemment sur le grec, donnant crisis, mais la sémantique admise est pleine de subtilité. On y trouve l’idée que la crise est à surmonter. Dans le sens précis de monter au-dessus. C’est le moyen de la vaincre. Nous disons en sortir. Par le haut, donc. Toute langue sait de quoi elle parle. Et je retiens l’idée qu’en espagnol la solution, pour réduire la crise, est de la fuir en s’élevant comme on le ferait sur un chemin de montagne. Quand le mot s’applique à la crise de nerfs, il implique l’idée de monter dans le régime de la colère et cela revient, littéralement, à salir de sus casillas, quitter ses petites maisons, comme si de petites résidences étaient à considérer. L’expression hors de soi évoque une idée voisine, ou celle de sortir de ses gonds. Suggestions à retenir mais qui seront à contrôler.
En hébreu, la crise, c’est Machber. Qui s’écrit Mem, Schin, Beit, Reisch.
Ce mot désigne le siège sur lequel la femme accouche, mais aussi l’orifice de la matrice et, par extension, la crise. On voit par là que la crise prélude à la naissance. Elle a partie liée avec le fait de venir au monde. Elle en serait une sorte d’appui. Le siège, c’est l’assise nécessaire pour se préparer à mettre quelque chose au monde, enfant, entreprise ou cycle nouveau. Y prendre place est normal en vue de l’accouchement. Mais il n’est pas dit que la parturition soit acquise. Or, précisément, elle peut l’être ou ne l’être pas. La crise, c’est la situation du choix, de la décision, l’endroit où prendre place en vue de faire naître.
J’aime assez lire le mot Machber comme s’il était composé de deux parties : Mem et Cheber. Mem indique l’évolution en marche vers l’universalité dans le cadre de la deuxième instance d’un cycle. Son graphe est formé d’un Caf qui pousse devant lui un Vav. Cette composition est d’une précision incomparable. Dans le cadre de la seconde moitié d’un cycle, alors que le programme évolutif est en vue de réalisation, que se produit-il ? Cheber serait à redouter.
Ces trois lettres écrivent en effet le verbe rompre, briser, déchirer, détruire. Il implique tous les dangers.
Voilà qui permet déjà de prendre une décision, quant aux questions que vous avez posées en style d’alternative. Premièrement, la crise n’est pas un accident aléatoire. C’est un phénomène rituel, lié au fonctionnement évolutif, moment difficile qui peut être prévu, pour peu que l’on ait une représentation précise du dynamisme qui meut l’intériorité d’une unité. Deux cas de rituels sociaux prouvent que cette connaissance est à portée de conscience. Témoins, les Hopis, ce petit peuple de trois mille âmes qui a été exténué à force d’alcoolisme et de maladies, en Amérique du Nord. Ces amérindiens extrêmement subtils défendent un concept qu’ils appellent étoile de précipitation. C’est une étoile à cinq branches. Elle contient l’idée qu’il faut se hâter d’intervenir quand les cinq couches d’une structure forment un tout matérialisé. Se précipiter pour quitter la zone du danger. Les Israélites défendent le même concept lorsqu’ils se hâtent d’aller au-devant du Sabbat, le vendredi soir. Le rite sait qu’il y a lieu de ne pas s’attarder à la limite du dernier moment ouvrable. La frontière à passer est nette. On laisse tomber l’argent. On se baigne. On s’habille et l’on se prédispose à prier, à passer en somme du profane au sacré.
J.P. Laurent : Vous voulez dire que Hopis et Israélites connaissent parfaitement le système qui régit l’évolution en cycle ?
D. Aubier : Le Sacré connaît la règle qui permet, non pas d’éviter la crise, mais de la voir venir et de dépasser rapidement le site où elle se fait éprouver. Prenons la connaissance hébraïque en exemple. L’alphabet donne une image directe des seuils d’évolution qui se démarquent dans une unité. Celui qui connaît parfaitement le langage des lettres dispose du savoir nécessaire pour contrôler l’intégralité de la démarche évolutive. Il sait où loge la crise et quelles sont les caractéristiques auxquelles identifier son imminence. Le problème à cet égard est de ne pas perdre du temps. La sagesse serait de ne pas laisser la crise s’installer.
J.P. Laurent : Dites, dites vite, car visiblement la nôtre s’est enkystée. C’est que nous n’avons pas une compréhension très claire de ce qui fomente une crise. Et nous n’avons aucune idée sur ce qu’il faudrait faire pour l’empêcher de stagner et de se durcir. La gérer n’est qu’une manière de l’entretenir. Vous avez parlé de grand danger. Peut-on lui échapper, voire le conjurer en le paralysant sur place ?
D. Aubier : Les références traditionnelles que je viens d’évoquer, tout comme les mots que nous avons sondés, constituent des indications. Si l’on veut comprendre leur raison d’être, tant pour les rites que pour la sémantique active dans les vocables, il faut entrer dans le système de pensée qui les a fait exister. Pour en saisir la logique, le plus commode et même le plus simple, c’est de regarder l’alphabet hébraïque, tel qu’il se dresse quand on range ses lettres en forme d’arbre. Mais pas seulement. Il faut aussi savoir ce que chaque glyphe tend à tenir pour sa griffe, en raison de sa place dans l’édifice, de sa valeur numérique et de son sens courant. Savoir ce que contrôle et symbolise chacune de ses lettres. C’est lié au fait que le mouvement qu’elle circonscrit se déroule dans la matrice du modèle Absolu, c’est-à-dire, selon la thèse sacrée, dans un cortex doué du pouvoir de parler. Ce système de référence implique trois plans de conditionnement général.
1) Admettre que tout, dans la Nature, est tributaire d’un motif unique, notion désormais admise par les scientifiques.
2) Reconnaître que le modèle cortical de l’être doué de parole répond du motif unique. Ce que la Science pourra vérifier dès qu’elle en acceptera la proposition.
3) Savoir qu’un influx se déplace dans le feuilletage en cause, énergie ambulante qui monte dans les couches et va de droite à gauche et de gauche à droite, à chaque niveau de stratification. Si l’on associe ces trois paramètres, on n’aura aucune peine à regarder l’alphabet comme la radiographie des phénomènes qui s’inscrivent dans l’organisme évolutif. Chaque glyphe tire le cliché d’un seuil de fonctionnement. Car tout n’est pas égal dans l’animation qui se produit de la couche I à la couche VI. Chaque épaisseur du feuilletage a une manière propre de réagir. Il faut en connaître la particularité. La crise n’est jamais qu’un moment dynamique où l’énergie se trouve en un lieu où elle doit circuler d’une façon précise, comme le Code de la route l’exige pour les véhicules qui roulent sur un rond-point. La crise illustre l’hésitation de l’énergie qui ne sait où aller.
J.P. Laurent : Il faudrait un bon panneau indicateur avec flèche et virage dangereux…
D. Aubier : Le panneau indicateur, c’est de savoir ce qui se passe.
Pour le comprendre, essayons de localiser le site où la difficulté surgit. On le voit clairement sur l’arbre à lettres. Il suffit de le regarder comme si c’était une carte de géographie.
1) le tronc ;
2) l’ouverture en deux branches ;
3) la ramille qui perce tout en haut du côté droit.
Appelons Bip la partie occupée par le tronc et BOP la région supérieure. Ces deux grandes instances se partagent la totalité de la concrétisation évolutive. En chacune d’elles, deux niveaux d’organisation se font repérer: Niv1 et Niv 2 en Bip. Niv 3 et NIV4 en BOP.
Pourquoi l’alphabet accepte-t-il de s’ériger en arbre à deux branches ? Les lettres s’échelonnent en ordre de la première à la dernière, sans interruption, d’Alef au Tav, formant la branche droite, sur la figure ci-dessous. Mais certaines d’entre elles admettent des formes finales. On dirait qu’elles interprètent le grossissement local de leur lettre jumelle. Ces valeurs à la corpulence légèrement modifiée ne se trouvent qu’en BOP. Elles appartiennent au régime de la seconde instance. Toutes présentent un embonpoint numérique marqué. Il y en a cinq qui s’élèvent les unes au-dessus des autres, du Caph final qui vaut d’emblée 500 jusqu’au Tzadé final qui vaut 900. Ces lettres explosives, de grande force quantitative, déterminent l’existence de la branche de gauche. Ce schéma représente un ordre. L’ordre évolutif en milieu cyclique. On y voit d’emblée deux terminaux, comme on dirait en langage d’informatique : le terminal quantitatif, à l’endroit du Tzadé 900 et quatre étages plus haut, le terminal définitif, au niveau du Tav, 400. En effet la branche de droite pousse en hauteur et comporte quatre niveaux ou seuils d’expression balisés par les lettres, Qof, Reisch, Schin, Tav. En face de ces quatre glyphes, rien. Un espace blanc où aucun signe ne s’est gravé. Comme si l’alphabet n’avait rien à dire concernant ce site. Il est sans voix. Vide. Troublant, non ?
J.P. Laurent : Où est la crise dans ce dessin ?
D. Aubier : Elle est exactement au-dessus du Tzadé final, et sa zone d’expansion est tout juste le blanc où il n’y a rien d’écrit. Mais on peut toujours aller y gribouiller des fantasmes. Aucun enfant ne résisterait à la tentation de le colorier un peu. Un enfant, oui. Un être responsable non. Mais n’allons pas trop vite. Vous savez, l’alphabet hébraïque… ce n’est pas un irrésistible accroche-cœur. Si l’on ne sait pas ce qu’il implique, on n’en voit pas la pertinence.
Pour admettre sa véracité, il faut le comparer au tableau que les naturalistes ont dressé de la phénoménologie évolutive, sans oublier qu’il y a motif unique. Donc, tout ce qui se produit dans une structure unitaire, en guise de seuils d’évolution, se retrouvera dans n’importe quelle matrice. Le phylum du règne Animal se prête à ce décalque. Les systématiciens l’ont recomposé avec une minutie qui tient du miracle. Le schéma en est connu sous le nom d’Arbre de Vie. Le plus représentatif de la vitalité phylétique parade à l’entrée du Palais de la Découverte à Paris. Il a été dressé par Lucien Cuénot. Il existe aussi des schémas moins détaillés, où se profilent simplement les grandes lignes de la démarche constructive. Les deux représentations sont utiles. Ce que l’une ne montre pas, l’autre le fait voir. Mais les deux ont en commun de posséder un tronc et deux branches. Et comme un fait exprès, comme pour donner raison au croquis alphabétique, dans l’une et l’autre figures, les deux branches n’ont pas le même terminal. Plus encore : ils ne sont pas synchrones. Dans l’alphabet comme dans l’Arbre de vie, une seule des deux branches bénéficie d’un supplément en hauteur, un supplément de vie.
Plaçons nos deux arbres en situation de se comparer. Ils ont en commun de posséder la même allure générale qui évoque l’arbre, tronc et branches. Et visiblement, le fait qu’il y ait deux branches. L’alphabet révèle que celle de gauche est quantitative et celle de droite qualitative. Les valeurs numériques l’indiquent. A gauche, la progression se fait de centaine en centaine, à droite de dizaine en dizaine. Le régime évolutif est donc numériquement dix fois plus fort à gauche qu’à droite. La même dialectique apparaît-elle dans l’Arbre de Vie ? Cela ferait un second point de concordance. N’en doutons pas. Il y est. Les biologistes ont même décrit finement les différences qui particularisent les deux branches. L’une d’elles, celle de gauche, qui porte les Insectes, a été dite hyponeurienne, parce que toutes les bêtes inventées dans ce secteur présentent la même caractéristique d’avoir, à la verticale, les centres nerveux au-dessous de l’appareil digestif. L’estomac prédomine sur les ganglions cérébraux. La branche droite a été dite épineurienne, parce que là, les bêtes inventées présentent les centres nerveux au-dessus de l’appareil digestif. Là où la branche hyponeurienne éclate en une multitude de types d’Insectes, celle qui occupe l’autre côté finit, elle, par concentrer ses effets dans une créature unique : l’Homme. Le quantitatif s’oppose donc au qualitatif. Nouveau trait de similitude entre nos deux arbres.
J.P. Laurent : Ils savent donc les mêmes choses.
D. Aubier : Oui, mais l’un donne plus de détails que l’autre. Ce qui permet d’instruire l’un par l’autre. Il est à observer que la créature humaine est la plus épineurienne qui se puisse concevoir. Facile à vérifier. Il suffit de se frapper la panse et le front. On voit que la tête est au-dessus de la tripe. A la verticale, toujours à la verticale, et quelle verticale, s’agissant de la créature parlante, la verticale maximale ; Impossible de rêver d’une autre manière de se redresser plus verticalement que celle qui nous est conférée par la station debout, dimension cardinale connotant le pouvoir de parler.
J.P. Laurent : Nous en sommes donc à deux pincements analogiques. Gauche et droite, quantitatif et qualitatif. La similitude est en partie sauvée. Mais la crise, la crise…
D. Aubier : On y vient, on y vient… L’essor arthropodique dont les Insectes supérieurs sont les formes sophistiquées s’arrête d’évoluer des millions d’années avant que l’élan ne soit pris côté Mammifères placentaires, Primates et Créature humaine. C’est l’analogie du désespoir. La gauche pleure son triste sort. Elle doit renoncer à ses fougueuses entropies. L’énergie ne veut plus travailler dans son secteur. Elle sait qu’elle doit aller en face. Elle ne tient pas à s’égarer dans l’espace blanc, non balisé que j’ai appelé le Verboten, d’un mot allemand qui signifie interdit. L’allemand commande mieux que le français. Le voilà, le troisième effet à l’identique. Côté hyponeurien, il y a aussi un espace vide au-dessus de la ligne où se tiennent les Insectes Supérieurs. Le clade Homo se gonfle au sommet du ballonnement des Mammifères. Tout petit, il n’en est pas moins nettement placé au-dessus de la ligne qui, à gauche, barre l’avenir au secteur hyponeurien. L’espace resté en blanc dans l’alphabet correspond, dans l’Arbre de Vie, à la non-présence d’une créature comparable à l’Homme. Il n’a pas de vis-à-vis. Pas de jumeau phylétique pour la créature humaine. Le clade Homo est seul à vivre, en face d’une béance. Les Naturalistes ne nous font pas la morale. Le modèle qu’ils ont dressé n’est pas de l’ordre des tables de la Loi. Il montre simplement comment les choses se sont passées dans le règne Animal. Là, les espèces, tout comme le phylum qui les englobe, se comportent de la même façon. Il y a toujours gauche-droite, moitié quantitative moitié qualitative et, pour cette dernière, percée en hauteur, en sorte qu’il y partout et toujours deux terminaux, séparés par un bon bout de temps. On raconte que le Roi David était extrêmement préoccupé par ces deux sites où finir. Il voulait savoir si sa mort se produirait en terminal 1 ou en terminal 2. Il savait que le problème se posait aussi dans nos existences. Il se pose partout où il y a unité évolutive.
J.P. Laurent : Et la crise, où la mettez-vous? J’ai hâte de la voir nicher en un site précis.
D. Aubier : Le danger n’existe qu’à l’endroit du premier terminal.
J.P. Laurent : En quoi consiste le péril ?
D. Aubier : Dans le fait d’ignorer la stratégie recommandée. L’énergie ambulante ne doit pas sortir de son chemin. Et ce chemin est à sens unique. Il va de gauche à droite, du quantitatif au qualitatif et si vous me permettez ce raccourci, du profane au Sacré. Quand il se trouve au terminal 1, en Tzadé final avec le 900 du maximum entropique, l’homme est libre de faire ce qu’il veut. Il n’a pas de consigne biologique active en son corps qui lui indique de se méfier. La seule consigne qu’il puisse recevoir est intellectuelle. Il ne faut pas tomber dans le blanc. Il faut courir vers la région spirituelle, en haut de la branche qualitative. Mais se tromper de stratégie est extrêmement facile. Tout semble permettre que l’on ne s’arrête pas. On a pris un bon élan. L’expansion réussit à merveille. Pourquoi changer de tactique ? Continuer semble tout naturel. Là est la tentation à laquelle ne pas céder. Car si l’on persévère dans le style d’évolution acquis, étant donné qu’on se trouve sur la branche gauche, la seule attitude possible est de continuer à monter. Cela revient à envahir la zone en blanc, celle que j’ai appelée le Verboten. La crise va s’y développer et elle y prendra d’autant plus d’ampleur et de virulence qu’elle en occupera plus complètement l’espace.
J.P. Laurent : Comment est-ce possible ? Si personne ne nous avertit…
D. Aubier : C’est le rôle du Sacré. Et c’est pourquoi la crise s’éternise dans un milieu socioculturel où les consignes du Sacré sont inconnues et en même temps méprisées. La structure porteuse d’évolution est de nature corticale. La matière grise est souple. Elle est capable d’accueillir des métabolisations sur toute sa surface. Mais si elle est programmée, mieux vaut qu’elle se comporte comme le veut son programme. Un cycle évolutif, quand il est social, civilisateur, culturel, est une sphère d’intelligence qui a tout intérêt à respecter l’ordre qui lui est ontiquement prescrit.
J.P. Laurent : Mais la crise, la crise…
D. Aubier : La crise, c’est quand on ne sait pas ce qu’il faut faire. Quand l’ignorance rend aveugle ou insensible au carrefour du grand péril. A l’ère du biologique, les cycles se développaient au gré de la Nature, l’énergie suivait le chemin indiqué. Elle quittait le terminal 1 à l’heure dite et filait en direction de l’autre branche, de manière à grimper quatre à quatre les étages qui lui permettraient de sortir par le terminal 2 et d’aller activer un autre cycle. Il n’y a pas de sortie, au-dessus du terminal 1. Il n’y a qu’un grand coude en épingle à cheveux comme une route de montagne et c’est là qu’il faut aller. En direction de l’orifice de sortie balisée par le Tav. Voilà pourquoi la crise loge dans le même mot que le siège de parturition, dans le lexique hébraïque. Parce que le siège sur lequel s’appuyer pour donner la vie est là, à l’endroit du terminal 1, mais l’enfant, lui, viendra plus tard, à la porte du terminal 2. L’influx circulant ne supporte pas qu’on le bloque dans une impasse. Il s’énerve quand il se sent prisonnier et comme il est toute énergie, il fabrique des tas de choses. Le terminal 1 n’est pas une impasse. C’est un lieu de transit. Un rond-point de réorientation. La grande gare de triage… En revanche, le Verboten, lui est muré. Sa région n’a pas de projet. Tout ce qui s’y fait, s’y fait à tort. L’énergie ambulante y est emprisonnée, démultipliant ses ressources. Mais elle ne peut qu’aller en direction de la limite au-delà de laquelle il n’y aura plus même de tissu organique pour soutenir son activité. La crise, c’est la conséquence de l’erreur qui a laissé l’énergie s’aventurer dans la zone sans programme… Qu’est-ce qu’une crise, demandez-vous ? C’est la situation évolutive malencontreusement acquise lorsque l’énergie sort de ses gonds et s’enfle en flots impétueux qui débordent sur la plage d’espace devant rester inoccupé.
Dans ce cas, sortie de ses petites maisons, l’énergie s’est fourvoyée. La transgression se révèle par mille et un méfaits et cela va très vite, parce que seul le côté hyponeurien est entré en transe. A droite, côté épineurien, il ne se passe rien. L’énergie n’y est pas venue. Le terrain se désertifie, alors que bien exploité, il aurait été prospère. Et la crise, loin de finir, s’aggrave. Le retour en arrière est impossible et la fuite en avant mortelle. Le terminal à viser se trouve à droite. La crise vient de ce que l’énergie évolutive a cru pouvoir le trouver à gauche. Or, à gauche, il n’y a pas de programme prévu. L’action est défectueuse du point de vue de l’ordre ontologique. Dois-je faire un dessin pour montrer la concordance géniale avec laquelle nos sociétés de consommation se sont enfoncées dans l’utopie, la véritable utopie, là où la vie n’a pas de lieu pour avoir lieu ? Ne vous étonnez pas si l’on en vient à préférer le virtuel au réel. Le virtuel ne mange pas de pain. Il se nourrit de fantasme. Illusion basée sur la technologie, sur l’économie quand elle prédomine, sur le comportement hyponeurien, l’attitude intellectuellement et spirituellement insectoïde, soit dit sans offenser personne, et surtout pas les jeunes générations prises au piège de la fallacieuse continuité inventive qui est en train de remplir le Verboten. Comment leur tendre la perche pour qu’ils en sortent et vite ? Hélas, tout s’oppose à ce qu’on les aide. La rationalité est un garde-chiourme pour ce qui la contrarie. Réflexe de puissance menacée.
J.P. Laurent : Ce n’est pas la première fois que l’Humanité traverse une crise. La fin de l’Empire romain a dû, à cet égard, donner cette impression de crépuscule. La crise actuelle ne se singularise-t-elle pas par :
1) sa dimension planétaire ;
2) l’énorme somme de savoir accumulé qui permet de perturber le cours de la Nature ;
3) la naissance d’un monde virtuel qui se présente comme une échappatoire et dont on peut craindre qu’il aboutisse à la formation d’une sous-humanité, faite de personnes qui se contenteraient de rêver leur vie sur le modèle des faux songes qui leur sont proposés.
D. Aubier : Tout cycle présente la serrure de crise où l’énergie crisse et grince plus ou moins fort. La penne fait partie de la logique organisationnelle. L’influx évolutif est bien obligé d’y glisser son passe-partout. Quelle que soit l’unité considérée. Mais un cycle, cela s’apprécie à ses dimensions. Il y a de petites bulles d’inventivité et il y a des enveloppements plus grands. Le Cosmos, de toute évidence, apporte l’ampleur maximale. Vous avez relevé le caractère planétaire des ennuis qui sévissent actuellement sur la vie. Paramètre considérable. Il met en cause toute l’histoire de l’Humanité. En effet, c’est la première fois qu’une pareille extension se produit. L’apparition de l’Homme avec son cerveau à six couches en était l’amorce. Voilà plus de dix mille ans que l’Homme moderne est entré en service. Ce qu’il a fait et vécu constitue ce que nous appelons l’Histoire. La sagesse veille toujours à relier le début et la fin d’un cycle. La fin est toujours inscrite dans le commencement. C’est la règle. Ce qu’il y avait de vocation à devenir le premier occupant de la planète pour Adam et Eve se retrouve totalement réalisé dans la mondialisation actuelle. Cela veut dire que le cycle dont nous ressentons les mécontentements et pour tout dire les fièvres malignes est une unité formidable dont l’écrou de crise est à la mesure de ses dimensions. La crise romaine n’avait pas cette importance. Elle secouait un ballon sociologique limité. Nous n’avons pas cette chance, même s’il est beaucoup plus intéressant de vivre une grande secousse qu’une minuscule. La renaissance qui s’ensuit est proportionnelle à son ampleur.
J.P. Laurent : Dans un cas aussi extraordinaire — le premier qui se soit présenté depuis la fin de l’ère biologique, c’est-à-dire depuis douze mille ans —, c’est vraiment jouer à quitte ou double. Nous n’avons pas droit à l’erreur.
D. Aubier : L’erreur d’où peut-elle venir ? De l’incompréhension du système qui conduit le réel. Vous parlez de l’immensité du savoir qui a permis d’agir sur la Nature, parfois avec perversité, d’en troubler les rythmes, comme si l’homme avait la haute main sur elle. Il réussit surtout à la perturber. Le problème, c’est que nous savons tout, mais nous ne savons pas comment nous en servir. En sorte que l’inventivité s’ouvre des chemins au hasard, sans se préoccuper de l’ensemble. La synthèse est nécessaire, la rationalité la désire mais ne la trouve pas. Il y a bientôt cent ans que la meute infatigable des scientifiques la traque à cor et à cri. Fichu cerf qui s’échappe toujours. Il faudra bien se rendre un jour à l’évidence. La synthèse, l’unité n’est pas du ressort de la science. Elle a été donnée toute faite aux êtres humains et le Sacré, par ses traditions, en sauvegarde le thème. C’est au Sacré de la communiquer à la science. Et dans le camp du Sacré, seule peut réellement la formuler la tradition spécifiquement douée de la puissance de parler. C’est l’affaire des religions révélées, nous a-t-on dit, objet de ce qu’on appelle en majuscules de théologie La Révélation. Simplement, pour en lire le contenu, il faut s’adresser à l’entité qui dispose de la langue et du discours adéquats. Je suis consternée de ne pas pouvoir dire que le provençal de Frédéric Mistral et celui de mon enfance ne font pas l’affaire. L’Eternel a préféré l’hébreu. Toutefois, et c’est le grand sujet de mon second tome d’exégèse sur don Quichotte, l’hébreu lui-même, par la prophétie biblique Obadia, nous fait comprendre qu’il n’est pas le seul instrument de la révélation. Il y a aussi l’espagnol et le français, Séfarad et Tzarfat. Il faut comprendre en quoi ces trois instruments linguistiques s’accordent pour rendre intelligibles les lois du Tout, chacun d’eux ayant son moment de solo dans l’orchestration générale. Il y a un codage qui joue les maestros. Notre avenir culturel ne peut plus éviter cette rencontre avec l’Absolu. Ce n’est pas du tout ce que laisse prévoir la mode du virtuel.
J.P. Laurent : Vous dites mode. Pour moi, c’est un phénomène extraordinairement significatif. Même s’il singe le Sacré, avec ses jeux de rôle, ses quêtes du Graal et autres dédales et labyrinthes, cérémonies initiatiques d’un parodique affligeant. Vous avez des Gardiens du Seuil, des épreuves pour héros fictifs, toute une chaîne d’énigmes à résoudre qui défient l’intelligence de la réalité. Une génération entière élevée dans le virtuel ! Et c’est en train de se faire. On voit même apparaître un nouveau type de maladie mentale : des psychotiques qui ne se prennent plus pour Napoléon mais pour des machines. Ils ont si peu et si mal intégré leur personne et leur corps qu’ils se vivent comme des appareils électroniques, des robots bioniques à couplage incertain entre l’humain et le fabriqué. Certains psychiatres reçoivent des gamins qui ne se vivent pas comme des créatures humaines. En fait, entre le modèle mécanique et l’absence de plus en plus grave d’un statut d’être qui fasse consensus, ils hésitent quand il s’agit de déterminer ce qu’ils sont. C’est un trouble de l’identité d’autant plus grave qu’ils passent plus de temps en compagnie d’appareils interactifs qu’au contact d’êtres humains et ce, à la période même de la formation. D’où la sous-humanité qui serait en voie de constitution. Croyez-vous que le Sacré puisse arrêter une telle tendance et remettre en somme l’organicité humaine dans sa peau ?
D. Aubier: Vous décrivez dramatiquement bien les résultats nocifs de l’erreur évolutive que j’ai tenté d’exposer ci-dessus. Nous avons perdu pied avec le réel et nous nous sommes égarés dans un territoire non-habitable où l’homme ne peut plus trouver ses repères. Les jalons les plus simplement vitaux. La situation a l’air d’être irréversible. Je crains que nombre de personnes n’en soient à partager votre pessimisme. Ne me comptez parmi elles. Il existe encore un moyen de remettre la vie sur ses gonds. C’est la solution de la dernière chance. Je n’en disconviens pas. Mais celle où tout le réel se bande comme une fronde pour abattre le Goliath du monde. Je ne voudrais pas être présomptueuse, mais depuis un demi-siècle je m’attache à expliquer l’enjeu du siècle. Par des livres et des explications qui s’adressent à la conscience telle qu’elle nous est donnée. Pauvre moyen, direz-vous, en face de la fascination qu’exerce le monde virtuel. Je demande à voir. Tout n’est pas encore joué. Il reste une fiche que l’on peut encore brancher pour faciliter le retour au réel.
J.P. Laurent : Laquelle ? Et comment allons-nous faire pour qu’elle reconnecte la vie à son statut naturel ?
D. Aubier : Je ne peux pas vous lire ici même les quatre cents pages du livre où je l’expose. C’est le sujet même de Don Quichotte, la révélation messianique du Code de la Bible et de la Vie. Impossible de résumer… Mais permettez-moi de dire, sans que ce soit bigoterie, que le Créateur a été plus intelligent que nous. Il a prévu notre sottise et donné le remède avant le mal. Alors mon cher, il faut parier sur le ressort magique. Cela ne veut pas dire que l’on va, d’un coup d’un seul, ramener au bercail de la réalité vivante la horde des égarés, des effarés qui se prennent pour des bioniques. Il faudra que les esprits sains se rassemblent.
J.P. Laurent : Non seulement qu’ils se rassemblent, mais qu’ils apprennent à désobéir.
D. Aubier : A qui le dites-vous. Je suis rebelle depuis ma naissance. Et je désobéis intellectuellement tous les jours. Tous mes livres sont des invitations à quitter le navire…
J.P. Laurent : A déserter la nef des fous.
D. Aubier : On nous parle des petits hommes verts devenus gris qui devraient nous prendre à l’abordage. Mais les extra-terrestres, ils sont là, chez nous, c’est notre espèce même qui est devenue sidérale, pour ne pas dire sidérante. Je gage qu’un de ces jours la Terre va faire comme les chats : elle secouera si fort sa fourrure qu’elle expulsera d’un coup toutes les aberrations. N’oubliez pas que mon premier tome sur don Quichotte s’est intitulé Le prodigieux secours du messie-qui-meurt. Cervantès a déjà parié sur la restauration sublime.
J.P. Laurent : Si nous en sommes arrivés à ce stade, n’est-ce pas parce que le grand corps de l’Humanité a été trahi par la tête que représentent ses élites intellectuelles, politiques, spirituelles ? Ils se sont abandonnés à la mouvance des choses. Ils déplorent la situation, la décrivent parfois fort bien, par des mots justes : fracture sociale, sauvageons, exclus, S.D.F, dangerosité de la bulle spéculative, composée de milliards et de milliards de dollars issus de l’épargne des gens aisés dans les pays riches et qui cherchent à s’investir n’importe où, pourvu que cela rapporte, au risque de déstabiliser un pays et son économie en quelques heures. C’est devenu un spectacle que l’on admire et trop souvent, les élites sont les premières à exalter le caractère théâtral de la situation, sans se rendre compte qu’elles en augmentent la puissance dramatique. Comment les mettre en demeure, ces élites, de renoncer à leur rationalisme descriptif, décadent, si puérilement intolérant dans leur conviction à n’être que bonne conscience.
D. Aubier : Arrogance de la pensée unique. Souci guerrier de garder le pouvoir. Ces élites de pacotille occupent tous les postes-clés, il n’y a apparemment aucun moyen de tirer au but, par-dessus leur mur. J’en sais quelque chose car avec une obstination de taupe rageuse, j’essaie depuis un demi-siècle de remuer la glaise culturelle. Trois livres au moins ont eu le souci d’alerter les politiques, de les rendre sensibles à la problématique cyclique. Le premier, paru en 1982, Catalina ou la Bonaventure dite aux Français, a été dédié à François Mitterrand. Il l’a lu. Je le sais car au cours d’une émission télévisée, sans me nommer ni mentionner mon livre, il a déclaré, avec sa superbe de prince s’estimant éclairé, que la crise n’était pas, comme « quelqu’un essayait de le lui dire, d’origine évolutive ou cyclique ». Elle était, selon lui, capitaliste et rien d’autre. Le vocabulaire prouvait que c’était bien ma thèse qu’il récusait. Il n’y en avait d’ailleurs pas d’autre sur la place qui fasse état de la systémique évolutive comme cause première des désastres sociaux, chômage et paupérisation. Inutile d’attirer « l’inattention » des princes sur une phénoménologie magistralement ignorée. Aucune idéologie politique moderne n’en a la moindre idée. Avec Le réel au pouvoir, j’ai récidivé en 1993, en espérant que le premier ministre, à qui l’ouvrage a été remis en mains propres, tiendrait compte de l’analyse qui reclassait le chômage et l’exclusion dans une perspective d’erreur alors encore assez facile à corriger.
J.P. Laurent : Vous êtes bigrement naïve. Vous adresser à des cœurs endurcis !
D. Aubier : Une règle initiatique oblige celui qui voit le serpent à pousser un grand cri. Le mauvais serpent de la crise. Celui qui l’a aperçu ne peut pas garder le signe pour lui. Même s’il a l’air d’un imbécile en sifflant son avertissement à tous les coins de rue, il doit le faire. S’il s’y refusait par fausse dignité, peur ou timidité, plus tard, son silence lui serait reproché par les mêmes persifleurs qui, aujourd’hui encore, se rient de lui. Si c’est là naïveté, comptez-moi pour un vrai chérubin. Tir de Voyance sur Mururoa, le troisième coup de Klaxon, n’a pas eu plus d’effet que les premiers. Quoi qu’il ait suscité quelques inquiétudes chez le Président Chirac, à propos des essais nucléaires dans le Pacifique qu’il fit interrompre avant le terme initialement prévu. J’ai alerté trois fois. Et on ne peut s’arrêter de vociférer qu’après avoir hurlé trois fois. C’est fait. Ce qui me permet de vous dire que les coupables, ce sont ceux qui refusent d’entendre. A commencer par les médias qui ne répercutent jamais ce genre de message. Je collectionne les lettres auxquelles il ne m’a jamais été répondu. Elles sont si nombreuses, adressées au même type de personnes en place, dont la plupart me connaissent fort bien, et dont certains lisent mes livres en y glanant de bonnes idées, qu’une véritable statistique s’en dégage, prouvant l’unanimité consternante du manque de courtoisie — toute lettre mérite réponse — associé à une sorte de complot non concerté, émanant d’un psychisme hostile au Sacré.
J.P. Laurent : S’ils en arrivaient à reconnaître la valeur des valeurs du Sacré, ils n’auraient plus qu’à se convertir et sortir de la grande misère mentale dans laquelle ils vivent, en se proclamant l’intelligentsia.
D. Aubier : Ces trois coups de gueule, croyez bien que je les ai poussés sans plaisir. Le temps qu’ils m’ont fait perdre, j’aurais préféré le consacrer à la traduction de don Quichotte. Mais l’Hidalgo lui-même n’aurait pas accepté qu’on ne suive pas son exemple.
J.P. Laurent : J’en reviens à la mise en demeure. Puisque ces gens de peu ne répondent ni aux lettres ni aux livres qu’on leur adresse, que faire ? Brûler leurs voitures de fonction au nom de l’Éternel ? Les prendre à la gorge dans la rue ?
D. Aubier : Il n’y a qu’une seule méthode : ne pas pactiser du tout avec leur mauvais système et former, à côté, une nappe grandissante de complices. Quant aux moyens pratiques de dépasser et déborder la censure qui nous bâillonne, ils existent. Bientôt, l’écluse s’ouvrira. Ne me faites pas dire en quoi elle se prépare. Puisqu’on nous traite si volontiers d’occultistes, gardons encore un peu ce secret-là. Mais j’aurais mauvaise grâce à ne rien dire de positif au sujet de la sortie de crise. Ce discours sur l’erreur qui a été commise n’aurait aucun sens s’il ne s’achevait sur un engagement formel à nous tirer d’embarras.
J.P. Laurent : C’est bien ce que je me tue à vous demander …
D. Aubier : Au commencement de toute action, il y a toujours une idée. Voici celle que je propose pour enclencher un comportement qui rejette dans le passé, hors de toute mémoire, la situation que vous avez évoquée et qui vous a fait augurer la sinistre probabilité d’une décadence humaine sombrant à la fin dans la débilité de l’espèce. Je ne suis pas allée voir le film Titanic, bien que je sois cinéphile. Pourquoi ? Parce que je ne veux pas prêter mon regard, ne serait-ce qu’une seconde, à une métaphore filmée susceptible de devenir un symbole d’avenir. C’est ma façon de conjurer la fascination qui a incité les foules à prêter crédulité à un désastre dont la puissance informationnelle est immense. Le navire qui a réellement coulé après avoir heurté un iceberg a déjà subi le sort que lui avait assigné un roman écrit quelques années auparavant. Le sort — du verbe sortir — veut qu’en toute affaire, l’étape symbolique commande à la suite. C’est la puissance du modèle évolutif donné par le Sacré qu’être formé de deux instances, le Bip et le BOP, travaillant à la réalisation de la même information. Le premier traitement est léger, le second férocement réaliste. Raison pour laquelle il faut veiller à ne pas soutenir une imagerie dont la puissance symbolique risque d’être confirmée par le réel et la Vie. Application directe de ce principe, je m’interdis de donner esprit de croissance à la vision d’une humanité détériorée, formant des individus immergés dans le fantasme du virtuel. Que faire pour retourner la situation ? Jeter l’information contraire dans la sainte aumônière de la réalité prenant tout au sérieux, le pire comme le meilleur. Le pire est là. Fermons les yeux de manière à ne pas l’enrichir d’une perception rétinienne qui en prolongerait le règne. Et ouvrons nos regards sur le bon projet.
J.P. Laurent : Vous en avez donc un ?
D. Aubier : Et de taille… Depuis des décades, de la mouvance de la pensée vécue, l’idée émerge qu’un rapprochement devait être recherché entre la Science et la Connaissance. Le thème en a été allumé par Fritjof Capra, dont Le Tao de la Physique a rencontré un vif succès. C’était une « donnée » à valeur de codon culturel. Sur sa lancée, de nombreux congrès se sont succédé. Leur but ? Provoquer l’étincelle qui ferait cristalliser la dilution formée par le rapprochement des opposites. Aucune de ces manifestations n’a conduit au miracle espéré. La méthode n’était pas en place, la méthode qui a la puissance de catalyser les éléments en présence. Opérations restées sans conclusion, elles étaient toutes présidées-dirigées par la Rationalité scientifique. Le savoir objectif a l’immense vertu d’apporter le matériel nécessaire, mais il ne dispose pas de l’élément actif qui saurait les dissoudre dans la transparence de synthèse. Seul, le Sacré le possède. De droit divin, mais oui ! C’est donc à sa doctrine de le fournir. Je dis le Sacré et pas les églises. Le Sacré en sa puissance de doctrine universelle et non les charlataneries du New Age que les médias se complaisent à offrir en barbe à papa, gourmandise de foire, qui étouffe le désir sérieux d’aborder la vérité de l’Esprit. Le Sacré, donc, au niveau supérieur de l’initiation, le Sacré soutenu depuis toujours par tous les initiés tatillons du monde et dont il faut sans cesse réactualiser les principes normatifs. Ce qui m’a permis de juger la crise mondiale comme la conséquence d’un égarement fatal dans une région où ne jamais aller vivre, c’est le modèle d’évolution en cycle connu depuis toujours par le Sacré. Les descriptions scientifiques se rangent dans sa vision comme le miel dans la gaufre de cire. Non pas les Sciences et la Connaissance, mais Connaissance et Sciences. C’est la bonne méthode. D’abord le règlement de manœuvres du Sacré, ensuite, les preuves fournies par l’expérience. Le raisonnement utilisé dans cette interview a obéi à cette règle. Il vaut pour exemple.
J.P. Laurent : Mais votre projet…
D. Aubier : Réussir la confrontation Connaissance-Sciences. Faire en sorte qu’il en résulte un coup d’éclat mondial. Asséner à l’Humanité — qui n’attend que cela — une description moderne et assurée de la vérité éternelle. L’amener à comprendre le fondement du réel, de la vie, de l’esprit de manière à retrouver les « repères à certitude ». Illuminer la conscience universelle au moyen de la leçon magistrale. Véritablement magistrale, elle le sera, en cela qu’elle aura réuni la doctrine, don du Ciel, à l’expérience savante des hommes. Et plus que magistrale : magique. Le réel s’y reconnaîtra. Les forces latentes dans l’âme humaine en seront si fort revigorées que le retournement sera de l’ordre du prodige. Je n’ai pas peur de l’annoncer. Je vous donne simplement rendez-vous à Paris, pour la célébration des Assises du Réel au Palais des Congrès, dans trois ans au plus tard. En attendant, préparez vous. Lisez ce qu’il faut lire. Etudiez de près toute question qui vous soit familière. Révisez-la, reconsidérez la sous l’angle de la Connaissance, mesurez l’éclairement surprenant qu’elle fournit. Magistrature d’autorité, elle est la seule digne de régir la vie, sous tous ses aspects, quotidien, politique, pédagogique, culturel. L’élite est morte? Vive l’élite à venir. Elle est en train de se former. Et ne me dites pas que je parle en l’air. Pendant que nous réfléchissons au premier étage de ma maison, au rez-de-chaussée, un biologiste qui s’est donné la peine de vérifier la validité intellectuelle de la thèse sacrée travaille avec un journaliste à la mettre en action au service d’une Rationalité supérieure. Nous ne rêvons pas de réveil psycho-intellectuo-spirituel : la mutation est en œuvre.
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NB : Le symposium Les Assises du Réel devait se tenir à Saint-Jacques de Compostelle, organisé avec l’appui du gouvernement de la région autonome de Galicia en Espagne. Des signes formels cependant ont exigé l’arrêt de cette initiative. Ils sont relatés dans Rebâtir le Monde p. 101 et Lire sa Vie p. 202-203. En effet, précise Dominique Aubier, la mutation cyclique en cours n’a plus besoin de cette opération dont l’utilité était circonscrite dans le temps. Du reste, La Face cachée du Cerveau, accompagné de La Synthèse des Sciences (l’hébreu en gloire) et l’Ordre cosmique réalisent à eux seuls et pleinement la rencontre Connaissance-sciences.
Quelle belle leçon !
Abord difficile ? Ne pas s’énerver, laisser reposer puis y revenir plus tard. Laisser du temps au temps, ici bien plus que dans nos magouilles.