par Francis Pierson

Vous parlerais-je du prix Goncourt quand d’autres le font bien mieux que moi ? Vous parlerais-je du Medicis, du dernier grand prix de l’Académie, du Renaudot et autres couronnements consentis par la convention commerciale, ou mieux, par le consensus culturel quand il se reconnaît dans un triomphe de la banalité ? Ce consensus précisément élimine tout ce qui pourrait porter atteinte à son autorité. C’est donc résolument en-dehors des circuits conventionnés que je porte mon intérêt, et rien ne me ravit davantage que lorsque je découvre une œuvre dont personne ne parle.

C’est avec un rare bonheur que j’ai ouvert Le Secret des secrets, par Dominique Aubier, dont l’éditeur m’a confié qu’il s’agissait d’un tirage exceptionnel. En effet, cette édition de belle qualité, sur cahiers de huit pages cousues, d’une facture solide, agréable au toucher, séduit le lecteur avant même qu’il n’entame la lecture. L’ouvrage commence — ah la bonne odeur de cette encre, et la souplesse de la reliure ! — par un avertissement singulier nous informant qu’il s’agit en fait d’une ré-édition, la première ayant subi l’exercice d’une censure assez sauvage : la thèse spirituelle exposée, nous dit le nouvel éditeur, avait une première fois si violemment contrarié le financeur du projet que ce dernier préféra perdre son investissement plutôt que soutenir… Don Quichotte.

L’ouvrage fut condamné au pilon avant même d’être distribué en librairie ! Cette nouvelle édition du Secret des secrets, magnifiquement mise en page non seulement répare l’injustice, mais libère une pensée jusque là brimée.

Le Secret des secrets nous présente en effet le projet intellectuel de l’initiée Dominique Aubier. Il ne s’agit point de philosophie absconse, ni d’une spéculation scientifique isolée : la pensée de cette auteur se refuse de forer dans le vide.

En effet, Dominique Aubier travaille à un projet civilisateur et prend pour modèle l’enseignement de Don Quichotte. Pragmatisme, sérieux, mais également joie de vivre sont au rendez-vous de cet ouvrage, où l’auteure en verve (toute méridionale) raconte comment elle fut amenée à découvrir le mystérieux codage de l’écriture cervantienne. Avec Don Quichotte, explique-t-elle, nous avons affaire au sacré. Aussi dégage-t-elle les énigmes que soulève la pensée du Quichotte. Pour en percer le secret, il fallait monter à grande hauteur. C’est chose faite dans cet livre qui nous entraîne dans une enquête éblouissante.

Dominique Aubier nous plonge dans l’Espagne médiévale : nous y rencontrons le décors d’un espace où les trois religions du verbe se sont rencontrées. Don Quichotte est le fruit de cette rencontre, en ce qu’il est une œuvre résolutoire, un fleurissement qui justifie l’adage selon lequel l’Espagne est une rose. Dominique Aubier part de la kabbale hébraïque qu’elle considère comme la science de l’esprit et dont l’Espagne fut le fief. Le Soufisme d’Ibn’ Arabî, le célèbre maître de Murcia, et le Livre des Demeures de Sainte Thérèse d’Avila n’ont point de secret qui résiste à son investigation. La quête du Graal que propose Dominique Aubier est passionnante, d’autant qu’elle élargit sa recherche au monde entier. Elle ne craint pas d’aborder le chamanisme des Indiens d’Amérique, dont le sorcier Yaqui Juan Matus, rendu célèbre sous la plume de Carlos Castaneda. Sans oublier les Dogons, le Taoïsme, le Bouddhisme, elle propose un tour du monde des religions. Mais le but n’est pas de pratiquer le tourisme de la spiritualité. Dominique Aubier, dont la pensée est extrêmement centrée, préconise la conciliation des croyances, sans qu’aucune ne renonce à ce qu’elle est. Comment réussir la Civilisation de l’Universel, se demande-t-elle. Il n’est d’autre moyen que mettre au jour le Code secret sous-jacent à toutes les traditions. Identifier ce qui unit.

Pari tenu : se référant au chapitre de la Tête enchantée dans Don Quichotte, Dominique Aubier lève le voile sur l’identité du Modèle d’Absolu. La consigne de silence qui pesait depuis des siècles est abolie. Lumière sur lumière : l’identité du motif universel dissout les symbolismes et s’expose au grand jour.

Ce livre de références, rédigé dans un style réjouissant à l’esprit, conceptualise, dans un langage moderne accordé au savoir objectif, les valeurs que défendent toutes les traditions du monde. Il constitue la pièce essentielle d’une parousie. Cet ouvrage est magistral. Il est écrit d’une plume trempée d’élégance. L’auteure en effet possède une étonnante maîtrise de la langue française, et plus particulièrement de la sémantique. Quand tout ce talent se met au service d’une cause spirituelle, il en résulte un chef-d’œuvre auquel nous accordons le Grand Prix du Cœur.

— Le Secret des secrets (Introduction à La Face cachée du Cerveau)